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Conférence avec Dominique Rousseau : « Pour une démocratie continue »

Publié le 15 mai 2023
Temps de lecture : 4 min
Dominique Rousseau, Professeur émérite Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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Dominique Rousseau, Professeur émérite Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, défend l’idée d’une « démocratie continue », plus en adéquation avec les citoyens d’aujourd’hui. Il l'a présenté aux élus et aux citoyens, le mardi 30 mai, lors de la conférence participative organisée au Conseil départemental. Entretien.

« Six thèses pour une démocratie continue », paru en 2020, reprend un concept que vous défendez depuis de nombreuses années. Pouvez-vous rappeler en quoi il se différencie de la démocratie participative ?

La démocratie continue se différencie de la démocratie participative parce qu'elle prend en compte une dimension qui est souvent oubliée, celle de la temporalité et de l'espace. Toute démocratie (à l’exception des démocraties directes) est par principe participative : les électeurs participent aux élections. Par démocratie continue, ce que je veux dire, c'est que la démocratie ne s'arrête pas aux urnes, elle continue entre deux moments électoraux. Autrement dit, le citoyen n'est pas un intermittent de la démocratie, mais un acteur continu, associé aux décisions publiques locales, départementales et nationales. Le deuxième point, c'est qu'elle continue en dehors de l'espace politique : on disait souvent autrefois que la démocratie s'arrête aux portes des entreprises, de la famille, de l'université, de l'école. Je pense que la démocratie ne s'arrête pas à l'organisation de l'État mais que les principes démocratiques doivent se diffuser dans tous les espaces, y compris au-delà des frontières nationales.

Un autre de vos livres s’intitule « Radicaliser la démocratie », dans quel sens l’entendez-vous ?

J’entends « Radicaliser » au sens latin du terme, « retrouver la racine » de la démocratie, c’est à dire le citoyen. La démocratie actuelle limite la figure du citoyen à une seule dimension qui est celle de l’électeur. Or, je considère que la figure du citoyen est plurielle, multidimensionnelle, il est membre d'une association, d’un syndicat, d’un conseil de quartier. Retrouver la racine de la démocratie, c'est concevoir le citoyen dans tous les espaces de sa vie, professionnelle, sociale et politique. Depuis maintenant plusieurs années, l’effervescence citoyenne se manifeste d'abord dans le « local ». Il y a une énergie sociale au niveau local sur laquelle on devrait s’appuyer parce que c'est là que la vie démocratique est particulièrement vivace aujourd’hui.

Pensez-vous que ces engagements locaux pousseront les citoyens à s’investir ensuite au niveau national ?

Je pense qu'il y aura un effet d'entraînement, oui. Par l’expérience qu’ils auront acquise et l’apprentissage au niveau local, les citoyens voudront peser au niveau national et peut-être même européen. Pour ce qui est des conventions nationales, elles étaient toutes organisées par l'exécutif. Je suis beaucoup plus favorable à ce que les conventions soient à l'initiative des citoyens eux-mêmes. Une convention citoyenne n’est pas le marqueur de la qualité démocratique d’une société, Poutine en organise ! Ça apparaît aujourd'hui comme une institution un peu miraculeuse, mais il y a une vraie réflexion qui doit être menée sur les expériences passées pour les organiser de telle manière à ce qu’elles soient comprises et vécues par les citoyens comme un nouveau mécanisme de fabrication de la loi.

Justement, qu'est-ce que pour vous une « bonne » loi ?

Une bonne loi, c'est une loi qui a été longuement discutée et délibérée, tous les arguments entendus et le contradictoire respecté, en toute transparence. Je pense que la qualité d'une loi dépend de la manière dont elle est fabriquée. Comme le bon pain, tout est dans le mode de fabrication. Une bonne loi ne doit pas être fabriquée à la va-vite. Et aujourd'hui, c'est une loi qui associe les citoyens à son élaboration. Jusqu’ici, on demandait aux citoyens de voter et de laisser leurs représentants faire la loi. On est en train de passer à un autre modèle, les citoyens disent « ok, je vote, mais ce n’est pas pour ça que je vais me taire, je veux être associé à la fabrication de la loi ».

Il y a 7 ans, vous parliez de période « prérévolutionnaire », qu’en est-il aujourd’hui ?

Quand je dis « révolutionnaire », je veux dire que on est dans un moment où il y a « évolution », parce que le principe sur lequel on fonctionnait change. En 1789, on change de principe, en abandonnant la légitimité de droit divin pour une légitimité qui vient de l'élection. Aujourd’hui, cette légitimité s'épuise, les gens croient moins à l'élection, en revanche ils croient davantage aux collectifs, aux conseils de quartier. Donc on est à la recherche d'un nouveau régime politique qui permettrait un meilleur partage entre les élus et les citoyens dans le processus de fabrication de la loi.

Quelle forme pourrait prendre ce nouveau régime ?

Ça peut être la création d'une nouvelle assemblée, une réforme du Conseil économique, social et environnemental, des conventions citoyennes à condition qu'elles soient organisées par les citoyens eux-mêmes, etc. L’énergie est là, mais faute d’institution, elle s’exprime dans la rue. La responsabilité des constitutionnalistes, c'est d'essayer de comprendre ces idées qui émergent et de leur donner un débouché institutionnel.