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Iannis Roder : "Faire adhérer à la démocratie est la seule garantie contre les génocides"

Publié le 22 février 2021
Temps de lecture : 4 min
Iannis Roder
© Aurélien Ferreira
Iannis Roder participera à la 3e édition des Rencontres pour l'égalité du 1er au 6 mars 2021.

Responsable des formations au Mémorial de la Shoah, l'historien Iannis Röder considère qu'il est essentiel, pour combattre les idéologies, d'expliquer aux jeunes que les génocides sont des gestes politiques, susceptibles de se reproduire. 

Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser particulièrement à l’histoire de la Shoah ?

C’est d’abord une histoire familiale dans laquelle j’ai baigné sans réellement y baigner car on n’en parlait pas. C’était présent mais pas dit. La manière dont mes parents m’ont appris cette histoire, c’est en me mettant des livres dans les mains quand j’étais enfant. J’ai compris que c’était une histoire exceptionnelle, complètement hors de l’ordinaire, cette violence paroxystique m’a beaucoup fait réfléchir sur la question. C’est donc logiquement que j’ai fait des études d’histoire, pour essayer de comprendre les processus, comment un pays bascule, etc. Au-delà du sort des victimes, ce qui m’a beaucoup intéressé est : qu’est-ce qui fait qu’on en vient à décider qu’une partie de l’humanité n’a plus le droit de vivre ? J’essaie de décrypter les mécanismes, comment on construit une idéologie et comment on devient un tueur de masse ? Ce qui me sert beaucoup dans les analyses que je peux faire, notamment sur les attentats islamistes en France. 

Comment faire pour sensibiliser les jeunes à ce pan de l’histoire, alors même que les témoins sont de moins en moins nombreux ?

Si on veut sensibiliser les jeunes aux génocides, que ce soit celui des Juifs, ou des Tutsis au Rwanda ou des Arméniens, il faut leur expliquer que c’est un événement historique qui nous concerne tous. Il faut leur expliquer que c’est une histoire politique, ce sont des gestes politiques, qui donc peuvent exister à nouveau. Il faut montrer comment une démocratie a sombré, quelles sont les dynamiques à l’œuvre, les processus, montrer combien une idéologie peut être porteuse d’une vérité absolue indépassable pour ceux qui l’adoptent. Il faut offrir une grille de lecture à ces événements. Le passage à la violence de masse est une question qui nous concerne aujourd’hui. Je pense qu’il ne faut pas hésiter à comparer, pas pour dire que c’est la même chose, mais pour singulariser chaque événement, montrer qu’il y a des dynamiques communes dans tous les génocides. Ces événements sont donc des possibles. Notre rôle est donc de faire adhérer à la démocratie, car c’est la seule garantie contre le retour de ce type de violence de masse, comme nous l’a montré Daesh.

Les jeunes vous semblent-ils sensibles à ces questions ?

Oui, tout à fait. Ce discours leur offre une grille de lecture sur le passage à l’acte. Et ils le comprennent parfaitement. Ils comprennent ce qu’est une idéologie, un système de croyance indépassable, ils comprennent les événements militaires de la Seconde guerre mondiale, qu’il faut relier au prisme de l’idéologie. Après les attentats de New York, par exemple, on avait étudié le discours de Ben Laden en classe, et une de mes élèves avait dit « c’est un discours idéologique ». Elle avait tout compris. 

De quelles armes disposons-nous aujourd’hui pour lutter contre les idéologies ?

C’est la pédagogie, l’éducation, mais pas seulement. Je crois que le rôle de l’école, par exemple, car l’école ne peut pas tout faire, c’est aussi de créer des référents adultes, sur lesquels les élèves peuvent compter. Des référents intellectuels, mais aussi humains. C’est aussi créer des dynamiques au sein de l’école qui font que les élèves sont heureux de venir à l’école pour y apprendre des choses, mais aussi vivre des aventures. Tout cela crée des liens, une sociabilité qui permet aux élèves d’aimer l’école, et s’ils aiment l’école, ils pourront s’investir dans leur scolarité d’une manière ou d’une autre, et ainsi se confronter à des discours qu’ils n’entendent pas forcément chez eux. 

Vous est-il déjà arrivé de subir une discrimination en raison de votre religion ?

Oui. J’ai été agressé physiquement une fois par un groupe d’extrême droite, quand j’étais étudiant à la Sorbonne, et on m’a traité de « youpin ».