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Une approche pluridisciplinaire pour lutter contre la prostitution juvénile

Publié le 15 février 2023
Temps de lecture : 5 min
Colloque sur la prostitution juvénile co-organisé l’Amicale du Nid 31, l’EMAC 31 et le RAP 31.
© Alexandre Ollier
Colloque sur la prostitution juvénile co-organisé l’Amicale du Nid 31, l’EMAC 31 et le RAP 31.

Le 9 février, le Pavillon République a fait salle comble en accueillant un colloque sur la prostitution des mineur(e)s co-organisé par ses partenaires l’Amicale du Nid 31, l’EMAC 31, et le RAP 31. Preuve s’il en est du besoin des professionnels de l’enfance d’être formés et outillés et de la nécessité d’une approche pluridisciplinaire pour faire face à une problématique encore mal connue.

Comme l’a rappelé en introduction Annie Vieu, conseillère départementale, vice-présidente en charge de l’Enfance et de la Famille, la prostitution juvénile nous met, nous, adultes, dans une posture de sidération et dans une situation difficile. Comment accompagner des jeunes qui, souvent, ne se considèrent pas comme victimes, refusent d’être aidés et donc de porter plainte ? Il est temps d’imaginer pour eux de nouveaux moyens d’accompagnement.

À l’initiative de l'Amicale du Nid 31, de l'EMAC 31 et du RAP 31, un groupe de travail a été mis en place sur l'année 2021-2022 autour de la problématique de la prostitution des mineur(e)s, réunissant des professionnels des mondes de l'école, de la justice, du médico-social, du sanitaire et du social.

État des lieux national

Au niveau national, Mélanie Dupont, docteure en psychologie, a dressé un état des lieux de la prostitution des mineures en France, à partir de l'étude nationale menée par le centre de Victimologie pour Mineurs. Puisqu’il est difficile de repérer les victimes d’exploitation sexuelle et que même une fois repérées, elles ne se livrent pas, les chiffres ne sont pas très parlants : il existe très peu d’études, les 7 à 10 000 cas relevés en France sont largement sous-estimés. Et moins de 250 affaires sont remontées en 2020. Toutefois, il semblerait que 90 % des mineurs victimes de prostitution soient de nationalité française, et non sur des filières étrangères. Qu’un 1 garçon pour 9 filles soit concerné. Et que 88 % des filles aient de 14 à 17 ans. Enfin, 7% des mineurs victimes auraient été entraînés dans la prostitution par un membre de leur famille. La moitié des affaires rapportées aux institutions judiciaires est classée sans suite.

Il n’y a pas un schéma d'entrée en prostitution, chaque situation est individuelle et demande une réponse individuelle. D’où l’importance de cadres souples pour pouvoir les aborder. Il reste que la prostitution, si elle touche tous les milieux, est le plus souvent l’aboutissement d’un parcours traumatique : fragilité internes à la famille, difficultés scolaires, blessures relationnelles et émotionnelles.

Pour les professionnels comme pour les parents, certains signes peuvent révéler une entrée dans la prostitution : lésions traumatiques, maladies sexuellement transmissibles, grossesses non désirées, prise de toxiques, dégradation de l’hygiène de vie, idées suicidaires.

Les motivations des victimes relèvent des problématiques adolescentes poussées à l’extrême : sentiment de prendre le contrôle de sa vie, d’être considéré comme un adulte, sentiment d’appartenance à un groupe, la quête affective, l’autopunition, l’argent ou plus rarement, le plaisir. À l’arrivée, ce qui prime : sentiment de dégoût, honte, culpabilité, perte de confiance, sentiment d’étrangeté, décalage. Tout l’enjeu des professionnels et des familles est de ramener ces jeunes à la communauté des êtres humains. Les parents impliqués, tout comme la fratrie, sont des co-victimes. Ils affrontent les mêmes sentiments que les professionnels : sidération, impuissance, épuisement.

Mélanie Dupont, psychologue, lors du colloque sur la prostitution des mineurs
© Alexandre Ollier
Mélanie Dupont, psychologue, lors du colloque sur la prostitution des mineurs

En Haute-Garonne

Lors du colloque du 9 février, Orlane Vidal, de l’association Amicale Du Nid 31 et Sylvie Malinowski, docteure en sociologie au Conseil départemental ont fait une présentation conjointe de deux études locales effectuées avec les professionnels du social et de l’enfance pour mieux comprendre la prostitution juvénile en Haute-Garonne.

Chefs de file de la protection de l’enfance, les représentants de l’ASE (Aide sociale à l’Enfance) ont repéré 41 mineurs concernés en Haute-Garonne. 9 sur 10 sont des filles, 3 jeunes sont en questionnement de genre, 7 sur 10 jeunes sont entrées en prostitution entre 15 et 17 ans. 8 sur 10 sont d’origine française, les mineurs étrangers sont plutôt des garçons.

Comme au niveau national, la prostitution juvénile en tant que problème public émerge et coïncide avec la prise de conscience de l'origine des mineurs concernés, à grande majorité français. Parmi eux, plus de la moitié sont issues de familles nombreuses, souvent monoparentales. Seulement ¼ des dossiers soulignent des difficultés financières. L’activité de la prostitution s’organise dans les villes, mais les jeunes viennent de tout le territoire. 84 % des cas recensés ont eu lieu à Toulouse.

L’entrée en prostitution ne peut se résumer à une cause unique, chaque histoire est différente. Pour l’Amicale du Nid, des fragilités préexistantes sont révélées par un événement déclencheur dans le parcours de la personne. Pour l’étude départementale, il s’agirait de l’aboutissement d’un processus de dégradation d’un rapport à soi et à son corps. La réalité serait à la croisée entre les deux hypothèses.

Les études soulignent le rôle important des fugues dans l’entrée en prostitution, ainsi que les liens affectifs avec leur entourage qui entraînent les jeunes. Sous emprise, ils ne voient pas les liens de domination, et ne peuvent donc pas dénoncer, mettre fin ou demander de l’aide.

Les réseaux sociaux jouent aussi un rôle certain, notamment dans la mise en relation avec les clients.

Ces interventions ont été suivies de moments d'échange avec le public, issu des différentes professions liées à la protection de l'enfance, et de deux présentations de travaux menés dans les Bouches du Rhône et dans le département du Nord.