PORTRAIT

Ouissem Belgacem : pour que la honte change de camp

Publié le 2 mars 2022
Temps de lecture : 4 min
Ouissem Belgacem
© TéFéCé
Ouissem Belgacem

Jeune espoir du football français, Ouissem Belgacem raccroche les crampons à 19 ans, épuisé de devoir dissimuler son homosexualité dans le milieu sportif. De son expérience sont nés un récit courageux, « Adieu, ma honte », publié chez Fayard en 2021, une tournée de sensibilisation dans les clubs de formation et bientôt une série documentaire. Dans le cadre des 4e Rencontres pour l’égalité, Ouissem Belgacem était présent pour un entretien-débat, au Pavillon République, le 15 mars dernier. Portrait.

Ouissem Belgacem est auteur, conférencier, et dirigeant de One Track, une agence qui accompagne les sportifs de haut niveau dans leur reconversion professionnelle. C’est en renouant avec le milieu du football, qu’il avait quitté à regret une dizaine d’années plus tôt, et en constatant que l’homophobie sévissait toujours, qu’Ouissem s’est décidé à s’engager contre les discriminations : « La France avance à de multiples vitesses, dans certains secteurs, comme la mode ou la communication, l’orientation sexuelle est acceptée aujourd’hui. Mais pas dans le foot ».

La formation

Quand le jeune Ouissem quitte la banlieue d’Aix-en-Provence pour faire le tour des clubs de football avec sa mère, il est séduit par la Ville rose. Il entre donc en formation au TFC à 13 ans. Son adolescence se résume à des années de travail acharné pour devenir joueur professionnel et des années de lutte contre nature. Les blagues de vestiaire, les « Bougez-vous, bande de tarlouzes ! » des coachs et les insultes des supporters font naître en lui une honte qui va lui coller à la peau. Le monde du football n’est pas tendre avec l’homosexualité. Sa famille et sa religion, l’Islam, non plus. « Je priais tous les soirs pour ‘devenir hétéro’, je cherchais à me fondre dans la masse, j’enchaînais les conquêtes féminines. Je n’en suis pas fier, mais je suis même allé jusqu’à participer à une brigade anti-gay pour brouiller les pistes » confie Ouissem.

Ouissem Belgacem au TFC
© D.R.
Ouissem Belgacem au TFC

À Toulouse, comme au sein de l’équipe nationale de Tunisie dans laquelle il joue aussi, il ressent le même malaise grandissant à jouer le rôle  du « gay qu’on ne démasque jamais ». Ouissem tente sa chance aux États-Unis, mais là encore, le poids des préjugés et de la religion ne lui laisse aucune chance. Et met sa santé mentale en péril. Très déprimé, il abandonne définitivement son rêve de gosse et rompt son contrat.

Londres, adieu la honte

Ouissem s’installe alors à Londres, « une bulle d’oxygène en Europe », où son homosexualité n’est plus une honte, même s’il la cache toujours à sa famille et à ses anciens amis footballeurs. Il reprend ses études et entre comme ingénieur consultant chez Véolia. Avant de monter son organisme de formation en 2014 et de replonger dans l’homophobie.

 « Les jeunes footballeurs ne sont pas plus homophobes que d’autres jeunes, mais il faut leur parler, les éduquer sur la question.»

Son autobiographie, publiée en 2021, est un livre choc. Ouissem se souvient : « Mon homosexualité, je l’ai vécue seul, personne ne savait, ni les joueurs, ni les agents, ni les coachs. Je n’en ai parlé à ma mère qu’à 29 ans, un peu avant la sortie du livre ».  « Adieu ma honte », est relayée par les médias nationaux. S’en suivent des vidéos Brut et Kombini, et une conférence Tedx. Le TFC, l’AS Monaco, l’Amiens SC invitent l’ancien sportif devenu auteur et envisagent de faire lire son livre aux joueurs en formation. Ouissem en est persuadé, « Les jeunes footballeurs ne sont pas plus homophobes que d’autres jeunes, mais il faut leur parler, les éduquer sur la question. Sinon rien ne changera. Je leur répète qu’on ne choisit pas plus son orientation sexuelle que sa couleur de peau… Discriminer quelqu’un sur quelque chose qu’il n’a pas choisi, ça n’a pas de sens ! ».

Arrêter de hiérarchiser les discriminations

Ouissem Belgacem est apaisé aujourd’hui, soutenu par sa famille et un courant de l’Islam qui lui permet de concilier sa spiritualité et son orientation sexuelle. Mais il sait qu’il reste du chemin à parcourir, tant chaque article, chacun de ses passages à la télévision déclenche des réactions violentes. Pour que les mentalités changent, il attend un engagement fort de la part de la Fédération française de Football. « L’homophobie, c’est l’angle mort des discriminations. On met le paquet contre le racisme, avec des pubs avec les plus grandes marques, on arrête un match pour une insulte raciste mais on tolère les chants homophobes. Il faut arrêter de hiérarchiser les discriminations. »