DOSSIER

Le droit de bien manger

Publié le 2 novembre 2023
Temps de lecture : 8 min
© Aurélien Ferreira/CD31

En 2023, la demande de soutien alimentaire a augmenté de 20% en Haute-Garonne, avec l’apparition de nouveaux profils de bénéficiaires et des difficultés d’approvisionnement. Pour répondre concrètement à cette situation, le Département confirme son engagement aux côtés des associations concernées (Banque alimentaire, Secours populaire, Restos du Cœur, Restos bébés, etc.), tout en plaidant en faveur d’un autre modèle avec la création d’une sécurité sociale alimentaire pour tous et toutes. Explications.

Avec l’inflation galopante sur les prix de l’alimentation, une part grandissante des Français éprouve de plus en plus de difficultés à se nourrir, alors même qu’il s’agit d’un droit fondamental, relevant tout autant d’une logique de justice sociale que de qualité alimentaire. Avec 14,6 % de pauvres (source : Insee), et jusqu’à 16 % (source : Agence d’urbanisme et d’aménagement Toulouse aire métropolitaine - AUAT) à Toulouse, notre département n’est pas épargné. Et pour les jeunes le constat est encore plus alarmant : 1/4 des moins de 30 ans vit sous le seuil de pauvreté en Haute-Garonne. Selon le Secours populaire, en septembre 2023, c’est même 1 personne sur 3 qui n’était toujours pas en capacité de se procurer une alimentation saine en quantité suffisante pour se nourrir 3 fois par jour.

© Aurélien Ferreira/CD31
Aujourd’hui, 8 millions de Français dépendent de l’aide alimentaire alors qu’on jette en parallèle de quoi nourrir 11 millions de personnes, selon l’Agence de la transition écologique. 

Soutien aux épiceries sociales et solidaires

Le Département se mobilise donc en apportant tout d’abord chaque année son soutien à l’action de terrain des associations intervenant dans l’aide alimentaire (Secours populaire, Banque alimentaire, Restos du cœur, Restos bébés, etc.). Près de 240 000 euros leur ont été attribués en 2023, en hausse de plus de 30 000 euros par rapport à l’année précédente. En outre, le Conseil départemental soutiendra à hauteur d’1 million d’euros le projet de développement et de relocalisation de la Banque alimentaire. À cela, il convient d’ajouter le soutien de la collectivité à la création d’épiceries sociales et solidaires qui proposent aux plus précaires des denrées à prix modique, à l’instar de La Casa à Saint-Gaudens ou La Main Tendue 31 au nord de Toulouse. Mais il n’est pas acceptable de s’enfermer dans un système qui s’institutionnalise.

© Alexandre Ollier/CD31
Pour les étudiants, des prix entre 70 à 90% moins chers que ceux des circuits classiques.

Chloé Berrest, responsable de l'épicerie sociale UT1-Esope

© Hélène Ressayres/CD31
Si nous luttons contre le gaspillage alimentaire, nous sommes en revanche intransigeants sur les obligations en matière de sécurité, de qualité et de normes sanitaires.

Aurélie Racine, Directrice de la Banque alimentaire de Toulouse et sa Région

Chloé Berrest, responsable de l'épicerie sociale UT1-Esope :

« Je suis salariée de la Banque alimentaire et responsable depuis sa création en septembre 2022 de l’épicerie sociale, située sur le campus de l’Arsenal : UT1 ESOPE. Nous sommes ouverts à tous les étudiants quelle que soit leur filière, qu’ils soient boursiers ou non, sous conditions de ressources. Ici, on trouve de tout : des produits secs (conserves, épicerie salée et sucrée), des produits surgelés, des produits d’hygiène et même des produits frais comme des fruits et des légumes avec une offre très diversifiée et appréciée. Le tout à des prix entre 70 à 90 % moins chers que ceux que l’on pourrait trouver en magasin. Outre deux salariés, nous fonctionnons grâce aux bénévoles étudiants, personnes actives et retraités, cinquante en tout. Grâce à cela, et aussi aux locaux mis à disposition gratuitement par l’université, nous pouvons aider 1 500 bénéficiaires. En plus de l’épicerie, nous proposons des recettes et diverses animations pour accompagner les étudiants. Il n’est pas rare de recevoir des témoignages de diplômés qui nous remercient de leur avoir permis, grâce à nos petits prix, de boucler leurs fins de mois et de finir leurs études ! »


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Aurélie Racine, Directrice de la Banque alimentaire de Toulouse et sa Région :

« Créée en 1986, notre association fait partie des plus anciennes du territoire. Notre cœur de métier et je dirais notre expertise, c’est de proposer aux associations qui, elles, sont en contact direct avec les bénéficiaires, une plateforme logistique avec les marchandises qui échappent aux circuits de distribution classique pour des raisons de surproduction, de problèmes d’étiquetage ou de calibrage et que nous récupérons. Chaque année, transitent par nos plateformes, ici à Toulouse, plus de 3 500 tonnes de denrées qui sont ensuite redistribuées. Aujourd’hui, les bénévoles de la Banque alimentaire, les fameux Gilets orange, sont issus de tous horizons. Nous sommes aussi très fiers de compter parmi nos effectifs quarante-cinq personnes en contrats d’insertion. Les 24, 25 et 26 novembre prochains, nous organisons la Grande collecte alimentaire. 3 000 bénévoles seront mobilisés. Mais toutes les aides sont les bienvenues, que ce soit en termes de bénévoles supplémentaires ou de dons ! »

© Hélène Ressayres/CD31
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Démocratie alimentaire

Et si la solution était ailleurs et dans une inversion des modèles connus, en passant de l’aide alimentaire à une véritable démocratie alimentaire ? Dans La France a faim, le don à l’épreuve des violences alimentaires (éditions Le Seuil, 2023), fruit d’une enquête de 5 ans, l’anthropologue Bénédicte Bonzi plaide en faveur de la mise en place d’une sécurité sociale alimentaire, un système universel, pour que tout le monde ait accès à une alimentation de qualité quelles que soient ses ressources, et ce, en sortant de la pure logique de marché et de surproduction. Aujourd’hui, des initiatives allant dans ce sens émergent, à l’instar de Caissalim, un projet initié par l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae) et 10 associations, qui fait participer des ménages et des étudiants volontaires désireux de devenir acteurs de leur alimentation. À ce jour, Caissalim fédère 4 comités citoyens sur 4 territoires : Izards-La Vache-Borderouge, Montaudran-Saint-Exupéry-Pont des demoiselles, Pradettes et Calim’Potes à Ramonville-Castanet.

« Notre objectif est de lancer une caisse citoyenne, abondée par les membres en fonction de leur situation économique, qui se verront attribuer ensuite à part égale un budget alimentation à utiliser sur un panel de produits ou professionnels choisis par le collectif » explique Sarah Cohen, co-coordinatrice du projet et ingénieure de recherche à l’Inrae. Le Conseil départemental a décidé de participer et soutenir ce projet.


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Le droit à une bonne alimentation deviendra universel, comme le droit à la santé ou à l’éducation !

Alexandre Gondran, enseignant-chercheur à l'ENAC, membre du collectif Caissalim de Montaudran-Saint-Exupéry-Pont des Demoiselles

Alexandre Gondran, enseignant-chercheur à l'ENAC, membre du collectif Caissalim de Montaudran-Saint-Exupéry-Pont des Demoiselles :

« 70 % des dépenses santé sont liées à une mauvaise alimentation. En tant qu’adhérent d’une Association pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP), je vois la précarité des producteurs et leurs tarifs qui ne peuvent pas s’aligner sur ceux de la grande distribution, donc être accessibles à tous. En expérimentant l’idée d’une sécurité sociale alimentaire, le collectif Caissalim dont je fais partie a plusieurs objectifs : conventionner les producteurs locaux et bio pour qu’ils soient sûrs de vendre à prix correct une bonne partie de leur production et assurer l’accès à une alimentation de qualité, du moins en partie, à toute la population. Concrètement, chacun cotisera selon ses moyens, et recevra en échange une sorte de ticket d’alimentation, ou de carte vitale alimentaire, qui lui permettra de s’approvisionner chez les partenaires conventionnés (agriculteurs, marchés, restaurateurs, etc). »


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Engagement pour une alimentation locale et saine

Preuve supplémentaire de l’engagement du Département en faveur d’une meilleure alimentation pour tous, outre la gratuité totale ou partielle de la cantine scolaire dont bénéficient 22 000 collégiens, la collectivité a décidé que d’ici 5 ans tous les collèges publics proposeront des repas 100 % faits maison, locaux, bio. Enfin, le Conseil départemental planche actuellement sur un plan alimentaire pour promouvoir la solidarité sociale et territoriale, encourager des pratiques agricoles durables, favoriser une alimentation locale et saine et rapprocher producteurs et consommateurs. 

Lisa découpe en petits dés du poivron. Carmen mixe des pois chiches pour faire un houmous. Un peu plus loin, Angèle s’active à la préparation de biscuits apéritifs à base de carottes, tandis que Christine, animatrice culinaire, révèle les bienfaits de la betterave Chioggia. Lisa, Angèle et Carmen sont bénéficiaires de colis alimentaires et sont venues trouver des astuces pour cuisiner autrement. Christine Malaterre, conseillère en économie sociale et familiale à la direction des solidarités du Nord toulousain, raconte : « Nous nous sommes aperçues que certains légumes présents dans les paniers des bénéficiaires étaient jetés, comme par exemple des oignons en grande quantité, faute d’idées de recettes. » Déjà une bonne odeur s’élève de l’Oustalet, la petite salle du Centre communal d’action sociale de la ville de Bouloc. Ce 9 octobre marque le coup d’envoi de la deuxième édition « Faites des fourchettes solidaires », une opération conduite par le PETR Pays Tolosan, associant plusieurs acteurs du territoire lors d’une semaine d’animations autour de l’alimentation. 


Petits plats et grands sourires

Parmi eux, Maud Beucher, membre de Cocagne Haute-Garonne : « Notre objectif est d’encourager une production locale, autour de jardins d’insertion, de valoriser leur production et de faire en sorte que les habitants bénéficient ainsi d’une alimentation accessible et de qualité. Ces ateliers cuisine participent de cette dynamique. » Pour Lucie Bayle, responsable de la

Maison des solidarités de Bouloc, cela va même au-delà : « Certes, nous sommes là aujourd’hui pour cuisiner des petits plats équilibrés en associant des légumes auxquels nous ne sommes pas habitués, à substituer certains aliments par d’autres, etc. Mais aussi pour créer du lien et ça, c’est la base de notre métier. » À en croire tous les sourires des participantes : mission

accomplie !